La notion de “propriété intellectuelle” est omniprésente dans l’industrie du jeu vidéo, accordant aux éditeurs des droits exclusifs sur leurs créations. Cependant, le terme “intellectuelle” mérite d’être examiné de plus près, surtout lorsqu’il est appliqué aux jeux vidéo. Cet article vise à susciter une réflexion sur la pertinence de ce terme et ses implications pour les créateurs et les consommateurs.
Le Contexte de la Propriété Intellectuelle
En droit, la propriété intellectuelle confère aux détenteurs des droits exclusifs sur les créations de l’esprit humain, y compris les œuvres littéraires, artistiques et industrielles. Dans le cas des jeux vidéo, les éditeurs possèdent ces droits, leur permettant de contrôler la vie ou la mort des jeux, leurs remakes, remasters, et suites.
La Création et la Propriété : Un Paradoxe Intellectuel
Ce qui dérange dans cette notion, c’est l’aspect “intellectuel”. Les jeux vidéo sont des œuvres complexes issues du travail collectif de nombreux créateurs : développeurs, scénaristes, artistes, compositeurs, etc. Le terme “propriété intellectuelle” implique que ces créations, issues de l’intellect des développeurs, appartiennent à l’éditeur. Cela soulève plusieurs questions :
- Droits des Créateurs Originaux : Les créateurs originaux n’ont pas nécessairement de droits sur les suites de leurs œuvres. En l’absence de droits d’auteur au sens strict, les créateurs initiaux peuvent être écartés des projets futurs, ce qui peut entraîner une rupture de cohérence dans la narration et l’univers du jeu.
- Conséquences sur la Qualité des Suites : Lorsque les suites sont développées sans la participation des créateurs originaux, il y a un risque de perte de la vision initiale. Les nouveaux développeurs peuvent ne pas saisir pleinement l’essence de l’œuvre originale, ce qui peut nuire à la cohérence et à l’intégrité des suites.
Réflexion sur la Terminologie
Le terme “propriété intellectuelle” semble inadéquat pour plusieurs raisons :
- Collectivité de la Création : Les jeux vidéo sont souvent le fruit d’un effort collectif. Parler de “propriété intellectuelle” pour désigner quelque chose qui émane de nombreuses contributions individuelles peut sembler réducteur.
- Contrôle Exclusif : L’idée de propriété confère un contrôle exclusif qui peut être en contradiction avec la nature collaborative et évolutive des œuvres créatives.
- Droits d’Auteur et Droits Moraux : En droit français, les droits d’auteur incluent des droits moraux inaliénables, reconnaissant le lien personnel entre l’auteur et son œuvre. Cette notion est absente dans la simple notion de propriété intellectuelle, qui se concentre sur les droits économiques.
Propositions pour une Nouvelle Approche
- Reconnaissance des Contributions : Une nouvelle approche pourrait inclure une reconnaissance plus explicite des contributions des créateurs individuels, même après la commercialisation de l’œuvre.
- Droits Partagés : Envisager des modèles où les droits sont partagés entre les créateurs et les éditeurs pourrait encourager une meilleure préservation de l’intégrité des œuvres.
- Évolution du Terme : Remplacer “propriété intellectuelle” par un terme qui reflète mieux la nature collaborative et dynamique de la création de jeux vidéo pourrait aider à redéfinir les relations dans l’industrie.
Conclusion
Remettre en question le terme “propriété intellectuelle” dans l’industrie du jeu vidéo est une invitation à repenser comment nous envisageons les droits sur les créations de l’esprit. Bien que ce débat n’ait pas de répercussions légales immédiates, il peut néanmoins encourager une réflexion critique sur les pratiques actuelles et ouvrir la voie à des changements bénéfiques pour les créateurs et les consommateurs.
Différence entre la Loi sur les Auteurs en France et la Propriété Intellectuelle à l’Étranger
En France, la loi sur les auteurs accorde des droits spécifiques et inaliénables aux créateurs d’œuvres intellectuelles. Ces droits incluent des droits moraux, qui reconnaissent le lien personnel entre l’auteur et son œuvre, ainsi que des droits patrimoniaux, permettant aux auteurs de tirer profit de leur création.
À l’inverse, dans de nombreux autres pays, la “propriété intellectuelle” repose principalement sur des accords contractuels. Les créateurs cèdent souvent leurs droits exclusifs aux éditeurs ou aux entreprises en échange de financement ou de rémunération. Ce cadre contractuel ne reconnaît pas nécessairement les droits moraux des créateurs et se concentre davantage sur les aspects économiques.
Pourquoi il est Impossible d’Avoir des Auteurs (au Sens Français) dans le Jeu Vidéo
- Raison Légale : En vertu des articles L. 113-9 et L. 113-10 du Code de la propriété intellectuelle en France, les œuvres créées par des salariés dans le cadre de leur travail appartiennent à l’employeur. Cela s’applique également aux artistes et, dans une moindre mesure, aux musiciens. Ainsi, le code écrit par un programmeur ou les graphismes créés par un artiste sous contrat appartiennent à la société qui les emploie, et non aux créateurs individuels.
- Raison d’Usage : En France, bien que la loi sur les auteurs protège les droits des créateurs, les éditeurs de jeux vidéo exigent souvent la cession intégrale des droits pour financer un projet. Les éditeurs ne signeront généralement pas de contrats incluant les contraintes des droits d’auteur, rendant impossible pour les créateurs de jeux vidéo de bénéficier de ces protections. Ce besoin de sécurisation des droits par les éditeurs pour garantir leur investissement crée une barrière à la reconnaissance des droits d’auteur dans ce secteur.
En conclusion, bien que la notion de propriété intellectuelle soit légitimement contestée pour son manque de reconnaissance des contributions individuelles et morales des créateurs, les cadres légaux et contractuels actuels rendent difficile l’application des droits d’auteur dans l’industrie du jeu vidéo. Cette réalité souligne la nécessité d’une réflexion et potentiellement d’une réforme pour mieux équilibrer les intérêts des créateurs et des éditeurs.