La préservation des jeux vidéo dématérialisés : un défi pour les droits des consommateurs et le patrimoine numérique

Introduction

À l’ère numérique, la transition vers les jeux vidéo dématérialisés s’est accélérée, poussée à la fois par les initiatives des plateformes et par la recherche de commodité du côté des consommateurs. Si cette évolution offre l’accès immédiat et la réduction des coûts physiques, elle introduit également de nouveaux défis en matière de droits des consommateurs et de préservation culturelle.

État des lieux

Les jeux vidéo, autrefois exclusivement disponibles sous forme physique, sont de plus en plus proposés en format dématérialisé. Cela signifie que les joueurs achètent des licences d’accès plutôt que des copies tangibles. Cependant, cela a des implications :

  1. Retrait des jeux des plateformes : Les jeux peuvent être retirés des plateformes pour diverses raisons, notamment des litiges liés aux licences. Cela prive les consommateurs d’accéder à des produits qu’ils ont achetés.
  2. Dépendance aux serveurs : Contrairement aux jeux physiques, les jeux dématérialisés dépendent souvent des serveurs de l’entreprise pour fonctionner. Si ces serveurs sont fermés, les jeux peuvent devenir inaccessibles.

Contexte européen

  1. Directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique (2019/790) : Elle reconnaît les défis posés par la numérisation et vise à équilibrer les droits des titulaires de droits d’auteur et des utilisateurs. Elle pourrait être interprétée de manière à favoriser la préservation du patrimoine culturel numérique, comme les jeux vidéo.
  2. Directive sur les contrats de fourniture de contenu numérique (2019/770) : Elle met en avant les droits des consommateurs lorsqu’ils achètent du contenu numérique et pourrait être utilisée pour argumenter que les jeux vidéo dématérialisés doivent rester accessibles.
  3. Droit à la copie privée : Comme mentionné précédemment, la directive européenne 2001/29/CE reconnaît le droit de réaliser une copie à usage privé d’une œuvre protégée, à condition de fournir une compensation équitable aux détenteurs de droits. Cependant, dans le contexte des jeux dématérialisés, les mesures techniques de protection (DRM) peuvent empêcher la réalisation de ces copies, ce qui constitue une zone grise juridique.
  4. Pratiques nationales : Certains pays européens ont déjà des pratiques de préservation avancées. Par exemple:
    • en Allemagne, le « Computerspielemuseum Berlin » travaille sur la conservation des jeux vidéo. De telles initiatives pourraient servir de modèle pour une approche européenne coordonnée.
    • en France, depuis 2019, le dépôt légal à la Bibliothèque nationale de France (BNF) concerne aussi les jeux vidéo. Tous les éditeurs sont tenus de déposer une copie de leurs jeux à la BNF, y compris les versions dématérialisées. Cela garantit une conservation à long terme, mais pas nécessairement un accès public.

Propositions pour protéger les consommateurs

  1. Licences à niveaux multiples : Proposer des licences à des prix différents en fonction de la durée d’accessibilité du jeu. Par exemple :
    • Licence basique : Accès au jeu pour 2 ans à un prix réduit.
    • Licence standard : Accès au jeu pendant toute la durée de vie de la plateforme.
    • Licence premium : Accès à vie avec des garanties de compatibilité à long terme, même si la plateforme d’origine cesse d’exister.
  2. Transparence obligatoire : Obliger les plateformes à informer clairement les utilisateurs sur la durée pendant laquelle le jeu sera accessible et disponible.
  3. Fonds de préservation : Créer un fonds européen pour la préservation des jeux vidéo, financé en partie par les éditeurs et les plateformes, qui serait responsable de garantir l’accessibilité des jeux même après leur retrait commercial.
    • Initiatives open-source et privées : Des organisations comme l’Internet Archive ou des projets de préservation du jeu vidéo cherchent à archiver et à rendre accessibles d’anciens jeux. Mais ces initiatives peuvent se heurter aux lois sur les droits d’auteur.
    • Conservation par des tiers de confiance : Les gouvernements pourraient désigner ou créer des institutions (comparable à la BNF pour les livres) chargées de conserver et de rendre accessibles les jeux vidéo après leur retrait commercial, pour ceux qui possèdent une licence valide.
  4. Interdire les retraits unilatéraux : Réglementer les retraits de jeux des plateformes, en exigeant par exemple un préavis suffisant et en offrant aux consommateurs la possibilité de télécharger une copie définitive du jeu.
  5. Droits de revente et de transfert : Renforcer le droit des consommateurs à revendre ou à transférer leurs licences de jeux dématérialisés, sur le modèle de la décision UsedSoft vs Oracle de la CJUE.
  6. Interopérabilité : Obliger les plateformes à assurer l’interopérabilité, afin que les jeux achetés sur une plateforme puissent être joués sur une autre, si la première cesse d’exister.
  7. Mécanisme de médiation : Mettre en place un mécanisme européen de médiation pour résoudre les litiges entre consommateurs et plateformes concernant l’accès aux jeux vidéo dématérialisés.
  8. Révision des lois sur les droits d’auteur : Les législateurs pourraient réviser les lois pour faciliter la préservation et l’accès aux œuvres numériques tout en respectant les droits des auteurs.

Conclusion

Les jeux vidéo sont plus qu’un simple divertissement ; ils constituent une part importante de notre patrimoine culturel. La transition vers le dématérialisé ne devrait pas signifier la perte de droits pour les consommateurs ou la disparition d’œuvres précieuses. L’Europe, en tant que leader mondial en matière de droits des consommateurs et de protection culturelle, se trouve à un carrefour. Elle a l’opportunité de poser les jalons d’un marché du jeu vidéo dématérialisé qui soit à la fois innovant et juste. Alors que le marché des jeux vidéo continue d’évoluer, il est impératif de veiller à ce que les droits des consommateurs et l’importance culturelle des jeux soient respectés. Des solutions existent, mais elles nécessiteront une collaboration entre l’industrie, les législateurs et les consommateurs.

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